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Paper lantern depicting the Okinawan yokai Mimichiri Bozu with vivid colors, cherry blossom patterns and a dynamic pose.

Yokai japonais d’Okinawa: créatures et légendes locales

Les Yokai, miroirs de l’imaginaire japonais

Dans la culture japonaise, les Yokai (avec en principe un macron diacritique sur le O « Yōkai » selon la norme académique de translittération et 妖怪 en japonais) sont des créatures qui échappent aux catégories habituelles.
Ni dieux, ni vraiment fantômes, ils incarnent une part d’étrangeté. Rarement bienveillants, ils inspirent aussi un certain malaise par leur caractère à la fois inquiétant et mystérieux.

On les retrouve sous la forme d’animaux capables de se métamorphoser, de spectres liés à des drames humains, ou encore d’esprits ancrés dans des lieux précis. Leur rôle n’est pas uniquement de susciter la peur, ils reflètent aussi les craintes collectives, les superstitions et l’imagination d’une société.

Au fil des siècles, des compilations et encyclopédies folkloriques ont recensé une multitude de ces êtres dans le Japon continental. Les amateurs de culture populaire connaissent ainsi le Kappa, le Tengu ou la Yuki-Onna. Mais lorsqu’on se tourne vers l’archipel des Ryūkyū, dont Okinawa est le cœur, le constat est différent: les sources sont rares, fragmentées, et beaucoup de récits restent encore enfouis dans la mémoire orale des villages.

Un folklore insulaire encore méconnu

Ces créatures, issues du folklore de Ryūkyū, se distinguent des Yokai japonais traditionnels.

Okinawa a longtemps vécu en marge du Japon central, avec sa propre histoire, son royaume indépendant, sa langue et ses croyances. Les Yokai qui y seraient apparus portent l’empreinte de cette singularité. Contrairement aux monstres du folklore de Honshū, souvent répertoriés dans les livres ou représentés par les estampes, ceux des Ryūkyū se transmettent surtout par le bouche-à-oreille ou par des initiatives locales comme le festival du Murasaki Mura, qui organise chaque été un événement consacré aux Ryukyu Yokai (Ryūkyū yōkai en écriture académique).

Cette rareté des sources explique pourquoi l’article que vous lisez pourrait devenir entre guillemet une petite référence. En effet, très peu de sites en ligne recensent ces créatures, et encore moins avec des descriptions détaillées. Les informations rassemblées ici proviennent principalement du livret officiel 琉球妖怪図鑑 (Ryukyu Yokai Zukan), publié par le Royaume de l’Expérience Murasaki Mura, et de témoignages recueillis lors du festival.

Le festival « Ryukyu Yokai » à Murasaki Mura

Chaque été, le parc culturel Murasaki Mura à Yomitan organise un festival consacré aux Yokai locaux. Les visiteurs parcourent un village illuminé, ponctué de lanternes et de mises en scène effrayantes ou ludiques. Le livret distribué à l’entrée est conçu comme un jeu de piste: chaque Yokai rencontré permet de tamponner une page, transformant la visite en aventure familiale.

Supernatural in Japan | Okinawan Yokai

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Portraits supposés des Yokai d’Okinawa

Chaque description qui suit doit être lue au conditionnel. Il s’agit de récits légendaires, dont les contours varient selon les narrateurs. Ces créatures ne sont pas répertoriées de manière académique, mais leur étude permet de saisir l’originalité du folklore insulaire.

Afirā Majimum (アフィラーマジムン)

On raconte qu’un canard hanterait les ruelles de Shuri à la tombée de la nuit. D’un pas lent, il suivrait les passants avant de brusquement accélérer et de se glisser entre leurs jambes. Ce contact furtif suffirait à subtiliser l’âme de la victime, la laissant vide et sans force. L’image d’un animal familier, détourné en voleur d’âme, traduit peut-être la peur des ombres ou des rencontres nocturnes imprévisibles.

Kākamuro (カーカムロ)

Cette apparition prendrait la forme d’une petite fille aux cheveux noirs coupés au carré, vêtue d’un léger kimono d’été. Elle vivrait tapie au fond des puits, attendant qu’un curieux s’approche. Si quelqu’un de taille similaire se penche, elle surgirait pour l’entraîner dans les profondeurs. Aperçue à Naha, elle illustre le danger associé aux points d’eau, souvent perçus comme des passages vers d’autres mondes.

Kuchi-Furacha

La légende raconte qu’un immense serpent à deux têtes reliait autrefois le village d’Onna à celui de Kin. Une flèche aurait transpercé sa gorge, mettant fin à son règne. De son cadavre serait né un arbre dont les racines forment aujourd’hui un sentier sinueux au cap de Kin. Ce récit illustre comment un élément naturel (un chemin serpentant) a pu être relié à une créature mythique.

Hanamō (ハナモー)

Une jeune femme, préparant sa robe de mariée, se serait accidentellement coupé le nez. Désespérée, elle se serait jetée des falaises du cap Kyan. Depuis, son esprit hanterait les abords et entraînerait au fond de la mer ceux qui prononcent son nom.

Kata-ashi-Pinza

Dans l’île de Miyako, certains affirment avoir aperçu une chèvre boiteuse, n’ayant que trois pattes. Malgré son allure pitoyable, elle se montrerait cruelle. Dès qu’elle en aurait l’occasion, elle se glisserait sous ses proies pour voler leur âme. Ici, l’image de l’animal incomplet, au lieu d’inspirer la compassion, devient signe de menace.

Kagarimō (カガリモー)

Près des rivières, une minuscule araignée noire passerait inaperçue. Mais si elle était dérangée, elle grossirait démesurément, atteignant la taille d’un humain, et saisirait la victime pour l’entraîner au fond des eaux. Des récits situent ce Yokai à Nakagusuku et à Shuri. Cette figure mêle la peur des insectes au danger mortel de la noyade, un thème universel.

Gusonutsukai (グソヌツカイ)

Ces entités, toujours par deux, rôderaient près des rivières. On dit qu’elles viennent d’un autre monde et guettent les passants pour leur arracher l’âme. Leur présence aurait été signalée dans la région de Kunigami, au nord de l’île principale.

Hidama

Il ne s’agit pas d’un être visible mais d’une sensation, un malaise, un souffle mauvais, une impression de malheur imminent. Les Hidama sont évoqués comme des présages, ressentis plutôt qu’observés.

Jurimajimum

Une femme, contrainte à la prostitution, aurait nourri une rancune si forte qu’après sa mort elle serait devenue un esprit vengeur. Elle hanterait de nombreux lieux d’Okinawa, volant l’âme des imprudents. Cette figure rappelle que le Yokai peut aussi être la trace de souffrances humaines réelles, transformées en récits.

Semā (セマー)

De petits êtres à la chevelure rousse et ébouriffée se nourriraient de mollusques, notamment des escargots géants africains introduits dans les îles Ryukyu. Leur passage se trahirait par des amas de coquilles abandonnées. Mais le plus redoutable serait leur pouvoir de provoquer la paralysie du sommeil: s’endormir près d’eux condamnerait le corps à l’immobilité. Leur présence est évoquée à Kouri et dans le nord d’Okinawa.

Hadakanuyū (ハダカヌユー)

Des silhouettes noires, sans visage ni cou, erreraient dans l’ombre. Elles seraient les âmes de cannibales de l’ère préhistorique, incapables d’atteindre l’au-delà.
Parfois, elles posséderaient le corps d’une prostituée pour piéger les vivants. Ces êtres auraient été signalés dans diverses régions des Ryūkyū.

Hatapagi

Ce spectre unijambiste se déplacerait en bondissant. Son nom seul serait dangereux: quiconque l’appelle la nuit se condamnerait à être poursuivi sans répit.

Pikin-Kiru

Ces créatures aquatiques se tapiraient dans les rivières. Elles attraperaient le pied des nageurs pour les tirer sous l’eau. On les associe particulièrement à Ogimi, mais d’autres villages mentionnent leur présence.

Hikkake-Yūrei (引っ掛け幽霊)

Esprit espiègle, il saisirait la jambe des passants non pour les nuire, mais pour leur demander leur chemin. Ce mélange d’étrangeté et de naïveté lui confère un aspect moins effrayant que d’autres Yokai.

Kijimunā (キジムナー)

Parmi les créatures les plus connues du folklore d’Okinawa figure le Kijimunā. Ces petits êtres, à l’apparence d’enfants aux cheveux roux ébouriffés, vivraient dans les grands arbres Gajumaru (榕樹), ces figuiers majestueux aux racines aériennes. Espiègles et farceurs, ils adoreraient jouer des tours aux habitants. Leur gourmandise est particulière: ils raffoleraient des yeux de poissons, mais refuseraient d’en manger deux du même animal.

Malgré leur allure inoffensive, les Kijimunā pourraient devenir redoutables si on les trahissait ou si l’on tentait d’abattre leur arbre. Fidèles à leur demeure végétale, ils symbolisent à la fois la malice enfantine et la puissance protectrice de la nature. Encore aujourd’hui, les Gajumaru sont respectés et parfois redoutés dans l’imaginaire local, comme abritant ces esprits.

Comparaisons internationales

Ce qui frappe dans ces légendes, c’est leur proximité avec d’autres mythes du monde. Des créatures aquatiques qui saisissent les nageurs rappellent les Kelpies d’Écosse ou les Rusalki slaves. La paralysie du sommeil attribuée aux Semā évoque les récits européens de démons nocturnes posés sur la poitrine des dormeurs. Quant aux silhouettes sombres des Hadakanuyū, elles rappellent les « shadow people » des récits modernes. Ces correspondances montrent que, malgré leurs particularités locales, les Yokai d’Okinawa s’inscrivent dans des peurs universelles.

Pour les passionnés de Yokai japonais

Si vous collectionnez déjà les histoires de Kappa, Tengu ou Oni, ce panorama vous apportera un souffle nouveau. Les Yokai des Ryūkyū sont rarement mentionnés dans les bases de données classiques. Les découvrir, c’est élargir son horizon à une autre culture japonaise, longtemps indépendante, avec ses propres codes et influences.

Respect du travail de recherche du Murasaki Mura

Il est important de préciser que la liste de Yokai présentée ici n’est pas exhaustive. Le Murasaki Mura a accompli un formidable travail de recherche et de mise en valeur des traditions locales à travers son festival et son livret 琉球妖怪図鑑. Afin de ne pas dévoiler l’intégralité de ce contenu ni de priver les visiteurs de l’expérience qu’il propose, je choisis volontairement de ne pas publier la totalité des créatures ni la description complète de leurs caractéristiques.

Mon intention est plutôt d’offrir un aperçu et de donner envie aux passionnés de folklore et aux curieux de se rendre sur place. Le festival permet non seulement d’approfondir ses connaissances, mais aussi de profiter d’une présentation vivante et ludique, entre mise en scène nocturne et jeu de piste avec tampons. C’est auprès du Murasaki Mura que chacun pourra compléter ses découvertes et recueillir les détails manquants.

Activités annexes à Murasaki Mura

En dehors du festival, le site propose aussi en journée:

  • des ateliers artisanaux (poterie, art du coquillage, teinture indigo) ;
  • des expériences culinaires (ramens, cuisine locale) ;
  • des activités en plein air dans les jardins
  • mais aussi à proximité en dehors du parc, de la plongée ou de l’équitation

Ainsi qu’un second festival, celui des Lanternes

Vidéo complémentaire

Cet article accompagne une vidéo disponible sur ma chaîne Japan Okinawa Daily Life, tournée lors du Ryukyu Yokai Festival. La vidéo montre l’ambiance nocturne, les installations lumineuses et une partie du livret distribué aux visiteurs. N’hésitez pas à la visionner pour prolonger la lecture de cet article par des images concrètes.

Guerrier japonais féroce illuminé la nuit avec des motifs floraux lors d’un festival de lanternes à Okinawa.

Cliquez sur la photo pour regarder la vidéo du Rukyu Yokai sur YouTube

Le festival des lanternes

De décembre à mars, le Murasaki Mura organise un autre évènement majeur, le Festival des Lanternes. Cette fête hivernale transforme le parc en un décor féerique, différent de l’ambiance estivale des Yokai mais tout aussi magique. Entre lumières colorées et atmosphère paisible, ce festival complète idéalement l’année culturelle du site.

Dragon japonais et lanternes rouges à Okinawa.

Cliquez sur la photo pour regarder la vidéo du Festivale des Lanternes sur YouTube

(Vidéo publiée le 10 janvier 2026)

Mon avis

Les Yokai d’Okinawa ne figurent pas dans les grands manuels du folklore japonais, mais ils méritent une attention particulière. À travers ces récits, on perçoit la richesse d’un imaginaire insulaire, façonné par la mer, l’isolement et une histoire particulière.

Pour mieux comprendre ce que sont les Ryūkyū, que j’ai mentionnés à plusieurs reprises dans cet article, ainsi que leur relation avec le Japon, je vous recommande la lecture d’un article dédié aux îles d’Okinawa, à leur ancien royaume et aux raisons de leur annexion par le Japon.
Lire l’article sur les îles Ryūkyū

À vous maintenant de prolonger l’exploration:

  • en visitant le festival de Murasaki Mura,
  • en consultant le livret officiel,
  • …ou en partageant cet article accompagné de vos propres remarques, en citant cet article ainsi que les sources du Murasaki Mura.

Ainsi se construit peu à peu une mémoire collective des Yokai des Ryukyus, pour qu’ils ne disparaissent pas dans l’oubli.

Remerciements et sources non affiliées

Je tiens à remercier le Murasaki Mura, dont les travaux et le festival m’ont permis de rassembler ces informations. L’essentiel provient du livret 琉球妖怪図鑑 publié sur place.
Source: Livret | Publié par 体験王国むら咲むら | 琉球妖怪図鑑

  • Adresse: Taiken Ōkoku Murasaki Mura, 〒904-0323 Okinawa Prefecture, Nakagami District, Yomitan Village, Takashiho 1020-1
  • Téléphone: 098-958-1111
  • Accès: environ 1 h de route depuis Naha en voiture ou bus.
  • Site officiel (non affilié): murasakimura.com
  • Horaires et tarifs (édition 2025)
  • Dates du Ryūkyū Festival Yokai: Mi-juillet à Fin août (Se renseigner sur les dates et horaires précises avant votre visite)
  • Horaires: 17h30 – 22h00 (dernière entrée 21h30)
  • Prix: adultes 1 800 ¥ / collégiens-lycéens 700 ¥ / écoliers 600 ¥ / gratuit pour les plus jeunes.

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